Sociohistoire comparée des politiques d’institutionnalisation disciplinaire dans l’enseignement supérieur et la recherche

Le projet consiste en une sociohistoire comparative des politiques d’institutionnalisation disciplinaire dans l’enseignement supérieur et la recherche. Mené dans le cadre d’une comparaison franco-italienne (éventuellement à élargir au cas espagnol) et concentré sur la période post-1945 qui a jeté les fondations rénovées des structures actuelles de l’ESR, la recherche envisagée entend rompre avec les tendances limitatives envisagées dans la littérature spécialisée. Les épisodes de genèse disciplinaire ont souvent pour habitude de suivre des récits « indigènes », reconstitués par des auteurs en relevant, centrés sur les vicissitudes propres à une discipline avec ses œuvres, ses orientations intellectuelles et ses étapes chronologiques majeures. Parfois restitués sur un registre impressionniste ou du témoignage, de tels travaux ne
permettent pas de comprendre les logiques propres à l’institutionnalisation de champs de savoirs, entendue comme le processus par lequel un tel champ en vient à être reconnu, identifié, distingué d’autres autour d’une série de normes, de pratiques et de croyances plus ou moins partagées de manière durable par ceux des acteurs qui l’incarnent. Une telle affirmation constitue l’un des traits marquants de l’évolution du panorama de l’ESR dans l’Europe de l’après-guerre et touche l’ensemble du cadre disciplinaire hérité du la structuration facultaire traditionnelle. Cela se matérialise par la réorganisation d’instances de reconnaissance disciplinaire qui s’illustre au premier chef et dans les deux pays par la création de conseils spécialisés au sein des ministères en charge de l’enseignement supérieur (Conseil consultatif des universités ou CCU, ancêtre du CNU en France, « Conseil universitaire national » ou CUN en Italie) ; cela passe également par la montée en puissance d’organismes de recherches publics
au profil comparable dans les deux pays, à savoir le CNRS en France et le « Conseil national des recherches » (CNR) en Italie, tous deux s’ouvrant progressivement aux sciences sociales à partir des années 1950-1960. Le projet part du postulat que c’est par cette entrée, plutôt que par les récits disciplinaires traditionnels, que le processus par lequel des spécialisations consolidées nouvelles émergent de façon durable peut être compris. Il apparaîtrait sinon incompréhensible que des domaines alors inexistants et ne disposant que de peu de ressources matérielles et symboliques puissent recevoir une consécration publique ouvrant des possibilités de carrière, de
financements, de création de centres de recherche qui constituent l’infrastructure sans laquelle l’affirmation intellectuelle propre d’une discipline n’est guère envisageable. Ce faisant, il s’agit tout autant d’identifier de façon à la fois plus complète et plus précise les acteurs du changement que de mieux saisir les facteurs incitatifs (qui expliquent l’émergence) ou répulsifs (qui retardent ou limitent sa portée) de l’innovation disciplinaire. Le projet privilégiera le cas de la science politique mais en la saisissant dans le cadre de ses relations avec les disciplines proches du point de vue institutionnel (droit, économie) ou épistémologiques (sociologie, anthropologie, histoire, philosophie).On peut faire l’hypothèse que si la littérature spécialisée s’en est largement tenue à des perspectives « internistes », c’est pour bonne part en raison des
défis méthodologiques qu’une telle perspective appelle à relever. Il faut en effet s’atteler à un examen minutieux de sources inédites à la fois nombreuses et éclatées. Nous avons pu observer tant à l’occasion de recherches internationales initiées en réseau (action COST) qu’à l’occasion d’une recherche exploratoire individuelle (archives de Sciences Po, une partir d’archives nationales, entretiens en Italie) que la quantité de matériel à traiter est considérable. C’est cette circonstance qui nous amène, au nom du réalisme de la recherche, à nous focaliser sur une matrice disciplinaire dans un nombre limité de cas. Nous croyons avoir identifié de façon solide à ce stade les lieux de la recherche, ici donc essentiellement archivistique (mais à compléter le cas échéant par entretien), à explorer : en France, les archives de Sciences Po (qui sont 3 dépositaires du fonds de l’Association Française de Science Politique et de la Fondation
Nationale des Sciences Politiques), les Archives nationales (site de Pierrefitte-sur-Seine) pour ce qui a trait au CNU et les Archives du CNRS (Gif-sur-Yvette) ; en Italie, les archives nationales (Archivio Centrale dello Stato, ACS), la bibliothèque Luigi Gregori du ministère de l’Instruction publique ainsi que les centres de documentation du CUN et du CNR. Dans les deux pays, ces recherches complémentaires devront être menées au sein des bibliothèques nationales (Paris, Rome/Florence). Deux points complètent la préparation du projet : d’une part, des contacts ont été pris avec la Société italienne de science politique dont la présidence nous a indiqué ouvrir son fonds inédit ; d’autre part, il est à noter que ce travail a été préparé du point de vue de sa logistique par une demande d’accueil en délégation CNRS au sein de notre UMR à Montpellier – pour la première fois depuis notre entrée en carrière.

Porteur : Chritophe Roux – Budget : 5 000 €