Pole thématique n°1 – Santé
Le pôle thématique CEPEL-Santé s’inscrit dans la continuité du « pôle innovant : Santé » lancé à l’occasion du précédent contrat quinquennal dont il consolide et élargit les perspectives. Il s’appuie désormais sur trois lignes de recherche nourries par une approche à la fois comparatiste et territorialisée se voulant :
- interdisciplinaire (sciences sociales, biologie, immunologie, politiques publiques, sciences de l’environnement, sciences de l’information, etc.) ;
- intersectorielle (éducation, alimentation, environnement, etc.) ;
- investie dans la problématique de la « démocratie sanitaire » faisant intervenir aussi bien les acteurs du gouvernement que ceux de l’appropriation sociale de la santé.
Ces trois lignes de recherche sont d’ores et déjà soutenues par des financements sur projet (ACTER [Région Occitanie], ArboSUD [I-site Muse], ProAcTA [ANR programme franco-Allemand]. Le pôle thématique est également adossé à deux activités transversales :
- d’une part, la dynamique d’enseignement de master avec un master existant, le master Santé et son parcours SHS (soins humanités société) porté par la faculté de médecine. L’ensemble des chercheurs impliqués dans ce pôle thématique contribuent au programme de master. Le développement d’un nouveau parcours « Le Gouvernement des politiques de la santé : acteurs, instruments, expertise doit être mis en place pour la rentrée 2021 avec un portage droit et science politique/médecine au sein de l’Université de Montpellier ;
- d’autre part, l’implication dans le réseau de recherche international (IRN, ex GDRI) « Humanités médicales ». Le CEPEL est membre fondateur de ce réseau et contribue activement à son rayonnement.
La santé comme enjeu de cohésion sociale
De nombreux travaux américains s’attachent depuis plusieurs décennies aux neighborhood effects of health. Si la séparation des quartiers français n’est pas du même ordre que celle qui prévaut dans les villes américaines, l’hypothèse que la spécialisation sociale croissante des quartiers trouve une traduction en niveaux et en formes de santé, non réductible à la seule offre de soins ou à la seule distance aux soins, mérite d’être posée. La question des « effets de quartier » sur la santé apparaîtra dès lors comme un objet en tant que tel et non pas seulement comme la résultante de déterminants.
Alimentation et santé
Dans la lignée du projet « Raconter la maladie : Cancer et quartiers précarisés » réalisé dans la période précédente, qui explorait la spécificité des quartiers ségrégués en termes de production globale de santé, sera développée, à partir de 2019, une approche comparative de production de santé dans les territoires urbains de la région Occitanie.Le programme ACTER (Alimentation collective dans les territoires urbains : santé – durabilité – éthique. Financement régional de 170 000 €) constitue la première pierre de ce programme en 2019 et 2020 et vise à explorer les modalités de différenciation des politiques d’alimentation collective selon la composition sociale des territoires (trois chercheurs titulaires du CEPEL sont impliqués dans ce programme : Laurent Visier, professeur de sociologie à la Faculté de médecine, Geneviève Zoïa, professeur d’anthropologie à la Faculté d’éducation et Gilles Moutot, maître de conférences en philosophie. La recherche, coordonnée par le CEPEL, est réalisée en collaboration avec une équipe de sciences de l’éducation et une équipe de médecine/nutrition.Nous passons donc d’une focale fixe sur les territoires précarisés à une démarche comparative que nous élargirons dans la phase suivante (comparaisons internationales). Le choix de l’alimentation scolaire vise à prendre en charge une politique « du quotidien » qui touche potentiellement toutes les populations d’une classe d’âge. L’examen des politiques au niveau communal (écoles), départemental (collèges) et régional (lycées) doit permettre de spécifier chacun de ces niveaux d’action. Nous explorons ici à travers cette politique la transversalité des questions d’éducation, de santé et d’environnement (voir ci-dessous).
Les inégalités d’accès à la santé
La période qui s’ouvre doit permettre d’explorer de nouveaux objets émergents dans le champ de la santé publique. L’effort de la recherche sera notamment porté sur les questions suivantes :
- Les déterminants socio-économiques de l’accès à la santé: Grégoire Mercier, PH en santé publique au CHU de Montpellier, et bénéficiant en 2018-2019 d’une bourse Harkness Fellowship à la Harvard Medical School (Health Care Policy Department) travaille sur la prise en compte des déterminants socio-économiques de santé dans le cadre des nouveaux modèles de financement des soins. Les thématiques plus précises de ses investigations concernent notamment : (i) l’analyse des parcours de soins en mobilisant des méthodes avancées de traitement de données ; (ii) les développements des outils d’objectivation des iniquités d’accès aux soins ; (iii) l’évaluation de la coordination des soins et des interventions complexes destinées à l’améliorer.
- Innovation sociale et accès aux soins médicaux: Marc Smyrl entend par « innovation sociale » des programmes, le plus souvent fruits de partenariats public/privés, ayant comme but de cibler des populations précises pour mieux assurer leur intégration économique et sociale par l’usage d’instruments participatifs. Un élément central de ce projet de recherche est l’attention portée à la traduction d’idées et d’instruments aussi bien entres secteurs (de l’innovation technologique et le développement économique aux politiques sociales et sanitaires) qu’entre régions politiques et géographique (du niveau européen au niveau local, ou entres pays européens et non-européens). Sur ce dernier élément, la Turquie est à ce jour le terrain privilégié de nos enquêtes comparatives, mais ce périmètre est voué à l’expansion avec l’adhésion de nouveaux partenaires.
Santé numérique et cohésion territoriale : Nicolas Giraudeau (MCU-PH, Université de Montpellier) va poursuivre sa recherche sur la santé connectée. Depuis 2012, il est porteur du projet « E-dent » télémédecine bucco-dentaire au profit des personnes en difficulté d’accès aux chirurgiens-dentistes. Il est, à ce titre, en contact régulier, en tant qu’expert, avec les institutions en charge de la santé au plan local (ARS), national (ministère de la Santé) et international (OMS) pour étendre le projet à une plus grande échelle.
La santé comme enjeu de socialisation
Risque sanitaire et cultures
Le CEPEL assure la partie SHS, sous l’égide de la FHU, du programme ArboSUD (« Le risque arboviral en Camargue et au Burkina Faso : déterminants environnementaux, humains et sociétaux »). Depuis janvier 2019, une approche transversale internationale est développée, avec des collègues infectiologues et virologues autour de la prévention et de la prise charge des fléaux infectieux dans les pays du sud. Celle-ci s’inscrit dans une perspective multisectorielle de l’OMS « Un monde, une santé ».En ce sens, nous avons participé à la constitution de la fédération hospitalo-universitaire (FHU) « Chronic infections » (Muse, CHU, UM…) dont le CEPEL est l’un des membres fondateurs et l’une des neuf équipes constitutives. Ce programme envisage l’infection transmise par les moustiques en Camargue et au Burkina Faso. Nous étudierons, dans une perspective comparée, la politique de construction du risque et de la communication autour de celui-ci. Il s’agira notamment d’explorer les déterminants sociétaux au sens large du risque arboviral :
- le niveau de perception du risque, détermination des causalités, acceptabilité de démarches de diagnostic et de soins. Il s’agira également de déterminer les modes de diffusion de la perception du risque ;
- les déterminants de genre, de capital social et culturel, de niveau d’urbanisation seront privilégiés dans cette analyse.
Dans le cadre de la FHU, nous collaborons également au programme de Master International One Health Maladies Infectieuses qui ouvrira en 2020, à la Faculté de médecine, et qui assure un lien entre les aspects biologiques des infections et les politiques mises en œuvre.
Éduquer à la santé
Dans le cadre de la transition épidémiologique qui opère le passage entre régime des maladies aiguës et paradigme des maladies chroniques, la majorité des questions de santé comprend aujourd’hui une dimension éducative. Les relations, sous des formes multiples, entre éducation et santé constituent un important objet de recherche. L’implication de G. Zoïa et de L. Visier dans deux programmes de recherche-action avec les villes de Nîmes (30) et de Clichy-sous-bois (93) pour la refondation d’écoles élémentaires de quartiers populaires va dans le sens de la considération des questions de santé et de bien-être comme valeurs éducatives centrales. La recherche est ici associée directement à des programmes de conception et de construction d’établissements scolaires. Elle s’appuie, en particulier, sur la réalisation de productions sociologiques audio-visuelles. De plus, la coordination du service sanitaire par les membres du pôle à la Faculté de médecine en lien avec la Faculté d’éducation, pourra servir de support à des programmes de recherche.Le programme ACTER (cf. ci-dessus) analyse l’interface entre santé, éducation et environnement. Nous menons activement une politique de recrutement d’un chercheur CNRS sur les questions transversales de santé-environnement qui nous permettrait de contribuer à la cohérence du projet et de renforcer l’équipe dans ce domaine. L’émergence de cette thématique, désormais bien documentée, fait du CEPEL le destinataire de nombreuses demandes de collaboration d’équipes montpelliéraines, à la fois dans le champ de la santé et dans celui de l’environnement, qui souhaitent adjoindre une dimension politique à leurs compétences biologiques notamment.Le recrutement d’un chercheur rompu à la transversalité de ce type de problématiques nous permettra, au cœur des lignes de force de MUSE, de situer la dimension SHS dans ces objets complexes. Une telle préoccupation rejoint d’ailleurs les perspectives ouvertes par les échanges déjà à l’œuvre entre l’IRIM (Institut de recherche en infectiologie de Montpellier, Nathalie Chazal et Jean-Michel Mesnard), le centre Alexandre Koyré de l’EHESS (Alexis Zimmer) et le département (Gilles Moutot) sur des questions touchant aux modes d’appropriation et de collaboration nouveaux entre SHS et biologie qu’appellent la façon dont, aujourd’hui, les concepts et savoirs en immunologie, et par là même toute pensée, y compris politique, de l’« immunité » sont remis en question.
La santé comme enjeu de gouvernement
Cet axe reprend et entend pousse plus loin, dans le seul domaine des politiques de santé, l’effort de recherche entrepris sur le cas des États-Unis en matière de défense et de santé avec le projet OPERA (« Operationalizing Programmatic Elite Research in America, 1988-2008 ») subventionné par l’ANR.L’originalité de cette recherche – qui implique au CEPEL Farid Boussama, Saïd Darviche et Marc Smyrl – consiste à croiser deux approches de la vie publique habituellement séparée : la sociologie des acteurs et l’analyse des politiques publiques. Centrée habituellement sur les institutions et/ou les instruments cette dernière s’est trouvée enrichie avec la « démarche programmatique » d’un travail systématique sur les élites en charges de ces politiques.L’obtention d’un financement important (ANR DGF : Proacta « L’Action Programmatique en Temps d’Austérité. Compétition entre élites et gouvernance du secteur santé en France, Allemagne, Royaume Uni (Angleterre), États-Unis (2008-2018) » / (ANR-17-FRAL-0008-01) (DFG BA 1912/3-1) a permis de mettre en place, depuis avril 2018, les bases d’une systématisation de l’approche programmatique désormais labellisé « Programmatic Action Framework » (ci-aprèsPAF).ProAcTA propose, concernant les USA, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France sur la période 2008 à 2018, de tester l’hypothèse contre-intuitive suivante : dans nos démocraties, l’austérité budgétaire a eu dans le secteur des politiques de santé pour effet de constituer des élites sectorielles spécialisées favorables au maintien voire au renforcement de la capacité de régulation de l’État. Se comportant comme « des gardiens des politiques de l’État », elles sont entrées en concurrence avec d’autres élites à la rhétorique austéritaire prônant une réduction des dépenses publiques. « Gardiens » et « Austéritaires » sont des exemples d’« acteurs programmatiques » dont les caractéristiques sont définies de manière détaillée dans ce projet de recherche. Partant de là, ProAcTA devra vérifier l’hypothèse plus générale selon laquelle la compétition pour le pouvoir entre acteurs programmatiques génère à la fois une dynamique endogène de changement dans les politiques et une nécessaire explication de leur contenu.La recherche consistera à évaluer et établir par-delà les systèmes nationaux des équivalents fonctionnels, renvoyant à la fois à la composition des élites et à leurs stratégies. On cherchera à dépasser l’habituelle typologie des systèmes de protection sociale et la distinction entre programme « libéral » et « étatiste ». A cette fin, on réinterrogera empiriquement le présupposé – que l’on trouve à la fois chez les défenseurs des systèmes de protection sociale et leurs opposants – selon lequel les différentes stratégies liées à l’austérité (coupes budgétaires, privatisation, externalisation…) ont nécessairement réduit la capacité d’intervention de la puissance publique.L’enjeu du PAF est de proposer une alternative aux actuels modèles interprétatifs dans le champ des politiques publiques. La centralité des acteurs la distingue des approches par les institutions ou les instruments ; le lien organique entre acteurs et programmes marque une différence importante par rapport à l’analyse des réseaux. La sélection des acteurs directement impliqués dans la conception des programmes, représente enfin un complément important aux études de mise sur agenda ou à l’advocacy coalition framework.Si le projet est centré sur la question de la contrainte budgétaire et sa prise en compte par les élites de la santé en vue de la formulation de réforme de l’assurance maladie, il a, néanmoins comme perspective de s’étendre à l’ensemble des questions relatives aux réformes des systèmes de santé notamment celle de l’offre de soins ou encore la santé publique. Ce projet a notamment vocation à répondre, comme cela a commencé à être engagé par l’équipe, au-delà de la question des réformes sectorielles, à l’interrogation plus générale sur le rôle des élites dans les transformations qui affectent le gouvernement des politiques dans les démocraties occidentales des deux côtés de l’Atlantique nord. Dans cette perspective, les partenariats déjà existant avec des collègues américains (OPERA) et anglais augmentés de ceux noués depuis 2017 avec des partenaires allemands, au titre de ProAcTA, devraient s’élargir à des chercheurs canadiens.